Un jour, on m’a dit que les parodies / relectures de contes de fées étaient préjudiciables, parce qu’il y avait quelque chose d’universel dans les peurs et les malheurs qui nous étaient conté-es.
Et si nous parlions contes de Fées ?

Un conte de fées, c’est court et on peut effectivement en apprendre beaucoup. Ca fait rêver et ça fait peur en même temps. Ca glisse à travers les lieux et les époques, et ça rencontre de fait des multitudes de mouflet-tes. Et c’est vrai que nous avons tou-stes notre Grand méchant Loup, réel ou symbolique. Cela dit, tout le monde s’accorde à dire que les versions et les origines sont multiples: on peut passer du petit bisou promettant un mariage heureux (et de beaux enfants et tout le monde est content…) à la sinistre appropriation de la chair parce que mon dieu elle est si belle. La Belle au Bois Dormant ne vit pas les mêmes choses chez tout le monde.
Le problème avec les contes de fées, c’est qu’ils sont vieux. Et si on lit de plus près, ils ne font pas rêver mais alors, pas du tout. Et je vous le donne dans le gras des p’tits cochons, ils s’adressent majoritairement à une seule et même cible: l’enfant, et par là, on entend bien souvent petite fille.
Prenez par exemple le petit chaperon rouge. De la plus commune à la version « trash », je pense que tous-tes connaissent les grandes lignes de l’affaire: ne sors pas des sentiers battus, n’écoute pas les inconnus, ne te promène pas en jupe seule le soir, le point glissé est le meilleur pour recoudre un loup, tire sur la chevillette si toutefois tu comprends ce que mère-grand entend par chevillette, etc…
Parce que sinon, tu vas mourir. Ou te faire sauver par une tierce personne de sexe masculin, alors que tu étais sur le point… de mourir.
Voilà comment Elena Gianini Belotti résume le Petit Chaperon Rouge dans Du côté des petites filles :
« Le Petit Chaperon Rouge est l’histoire d’une fillette à la limite de la débilité mentale, qui est envoyée par une mère irresponsable à travers des bois profonds infestés de loups pour apporter à sa grand-mère malade de petits paniers bourrés de galettes. »
« Avec de telles déterminations, sa fin ne surprend guère », ajoute-elle. C’est le problème avec les vieux contes. Les petites filles ne peuvent jamais sortir du chemin qu’on a pavés pour elles. Comment faire basculer cette fin qu’on leur impose à travers les livres et les âges ?
Il était une fois, un petit chaperon rouge…
C’est donc l’histoire d’un petit chaperon rouge qui fait cette inéluctable mauvaise rencontre.

Et se fait enlever par le loup. Non sans protestation….
Ni interrogation à l’adresse de son agresseur.
La petite fille s’adresse donc à lui, en lettres rouges qui se démarquent de la masse sombre du loup. Elle se laisse déposer sur sa table, sans cesser de le questionner.
On mange ?

oh la la ! Comment t’as d’grandes oreilles ! »
Le loup est décontenancé. Nous non plus, nous n’avons pas l’habitude d’entendre le petit chaperon rouge parler de la sorte, alors imaginez ! Il est clair qu’on a changé de siècle. Le loup joue pourtant sa partition. « C’est pour t’écouter… » répond t-il de ses lettres grises et désordonnées. Mais ce petit chaperon rouge accapare sans vergogne l’espace de parole des trois pages suivantes. Elle conquiert de même l’espace physique en faisant l’inventaire (« t’as d’grands yeux, tu sais?« ), jusqu’à ouvrir grand la gueule du kidnappeur pour y voir de plus près.
Jusqu’au fameux échange qui a marqué des générations de moustiquet-tes:
comme tu as de grandes dents !
C’est pour mieux te MANGER !
Nous voici venu-es au point de non retour, au climax de l’intrigue. Alors où en sommes nous ? A droite, nous avons un petit chaperon rouge jusque dans son caractère, qui démonte sans se démonter tous les schémas de domination qu’a mis en place son agresseur. A gauche, grand gris et maigre, nous avons le Grand Méchant Loup qui tente par tous les moyens de tenir le rôle qu’on lui attribue depuis des siècles, de sa gueule grande ouverte à ses doigts crochus et menaçants qui n’ont pas une seule fois pu atteindre sa désormais plus que supposée victime. Ouf. Et maintenant ?
Aussi simple que ça. Ce petit chaperon rouge impose un « non » sans condition. Le loup est complètement abattu.
« T’as mauvaise haleine […]. Prends un bonbon.«
Décontenancé, le loup n’as plus qu’à obéir aux ordres d’un petit chaperon rouge. Avec de telles déterminations, sa fin ne surprend guère…
avale.
Ainsi mourut le Grand Méchant Loup. Brutal ? Pas plus que cette histoire où la fillette et sa grand mère se font dévorées vivantes à la fin.
Et si on garnissait les tables de nuits de nos mouflettes de classiques et de renouveaux ? Ca me parait une solution plutôt équilibrée, non ?
Car hélas ! qui ne sait que ces chaperons doucereux,
De tous les chaperons sont les plus dangereux.
Un Petit Chaperon Rouge, Marjolaine Leray , Actes Sud Junior.
Le chaperon au piège à loup est le visuel de l’affiche du film Hard Candy.
Ce « non » me donne des frissons à chaque fois.