Minute n°19: Où l’on découvre qu’une écharpe ne cache pas que le nez

Pardon, ça va être long.

Il y a quelques temps, je suis tombée sur une interview d’Elisabeth Badinter (ici ou par exemple, pardon pour les sources) Je ne suis pas toujours d’accord avec ses analyses, mais elles m’interpellent toujours.

Ce n’est pas la première fois que je lis cet avertissement: attention au renvoi des femmes dans « leur » foyer. Cette question de la femme au foyer et des convictions féministes me travaillent énormément. Je ne sais jamais vraiment si l’ont choisi en pleine conscience, ou suite à une conjonction d’acquis, de pressions inconscientes et d’intériorisations involontaires d’être, de rester, de retourner dans la zone supposément sécurisée que l’on considère comme son « foyer ». Je suis toujours partisane du chacune fait ce qu’elle veut et mort aux juges. Mais fait-on ce qu’on veut, réellement ?

J’ai trouvé ce lien sur un forum consacré au package »maternage-couches lavables-portage ». Les intervenantes défendaient avec force leur choix tout en étant d’ailleurs tout à fait ouvertes à ses questions.

Bref, chez Budum, nous avons donc été plus attentives à ce que nous pouvions lire sur le maternage au sens large. (Pour être honnête, nous avions déjà un petit a priori sur la Leche League) .

Du coup, comme d’habitude, nous avons glané compulsivement toutes sortes de brochures. Et ho merveille, nous avons fait par hasard coup double.

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Brins d’herbe dans le veeeent

Comme il est de coutume quand on aborde ces délicates questions, je précise que porter un-e enfant avec une aide textile, c’est agréable et facile, que les câlins c’est très bien, et qu’allaiter quand on veut et quand on peut, quoi de mieux ?

Donc.

Il y a un site très bien qui vend des trucs très cools qui permettent de faire tout ça. Ce site très bien (ça commence par un B) possède un blog (qui commence par un B) auquel apparemment plusieurs personnes participent puisqu’il y a des points de vue qui s’opposent (je le précise car on peut imaginer que ce blog peut ne pas être le reflet exact de la politique et des convictions du dit  site marchand, ce qui m’arrange bien parce qu’il vend des trucs très cools, etc…).

Sur ce blog, il y a un article qui parle des bénéfices du portage.  Déjà moi, les bénéfices du portage, je trouve ça très bien, mais j’aimerais bien qu’on arrête d’en faire une nécessité médicale absolue. C’est pratique, ça tient chaud, ça fait des nœuds, et c’est déjà suffisant en ce qui me concerne. Mes yeux glissent donc sur les énumérations avec suffisance quand soudain :

Le portage, des tas d’avantages pour la maman

Le portage rend la maman plus sereine. Ayant l’enfant contre elle, elle détecte mieux ses besoins, physiques et psychologiques. Elle sait lorsqu’il a faim ou lorsqu’il faut le changer et cela la rassure sur ses capacités maternelles.

Le portage te permet donc, petite chose,  de devenir une créature  parfaite dont le corps entier est dédié aux besoins du fruit de ta chair.  Les autres mères, ces malheureuses,  détectent (bip bip !!) forcément moins bien les besoins de leur petit-e, et sont ensevelies de surcroit dans le marasme du doute maternel. Les femmes qui portent sont rassurées. Point. Petit ton infantilisant et indicatif présent. Jamais elles flippent, les meufs. Vive le sergé croisé.

Le portage permet à la mère de vivre un quotidien presque comme avant. Son bébé tout contre elle, elle peut s’acquitter des tâches ménagères, s’occuper des autres enfants, et aller facilement partout.

Elle s’acquitte. Juste ça, hein. J’en rajoute même pas, la totalité de cette phrase m’inspirant tant d’ indicible poésie.

Gentille maman. Sinon le portage, c’est cool aussi pour le papa. Quand c’est un papa poulet. Celui qui fait gouzi gouzi en rentrant du taff et qui ne s’acquitte pas du balais, j’imagine.

Du coup vous imaginez bien que mon petit ordinateur couleur tomate est allé pleurer dans son coin tant il a vu la fenêtre de près.

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C’est alors que Budum reçut enfin sa commande. Cette commande, elle était blottie dans un petit carton. Et dans le petit carton, il  y avait la petite Brochure. Faisant fi de mon addiction aux huiles essentielles bio, la marque B (ho Bah tiens !)  avait en effet très envie de m’expliquer les Bénéfices du Portage.

Le portage donc, en dehors de nous permettre de monter des escaliers avec notre bébé (?!), est :

Bon pour notre santé, car nous encourage à sortir faire de l’exercice avec notre tout petit

….contrairement à ces gros culs de conducteur-ices de poussette.

L’argument santé, le tout beau tout chaud, le  voilà déjà. Ensuite, pour le-a bébé-e, le portage

régularise la température du corps

Je vous fais pas tout le paragraphe tellement c’est anxiogène, mais en gros on vous explique que la maman est une machine dont le corps chauffe ou refroidi en fonction de la température de sa chérubin-e (cela dit  ça expliquerait le comportement de certain-es petit-es félin-es ingrat-es). Femme dont le corps est guidé par la Maternité, gloire à tes rouages…

Améliore la protection immunologique.

Si la mère allaite son bébé, elle va produire des anticorps (…). Le toucher est si important pour le développement sain d’un enfant que le manque de toucher, ou la séparation de la mère et du nouveau-né (même avec des poussettes), provoque une augmentation de l’hormone du stress toxique (cortisol). Des niveaux élevés de cortisol dans le sang et la séparation de la mère pourraient influer négativement sur la fonction immunitaire du corps qui peut cesser de produire des leucocytes.

Ca hurle en vous, hein ? C’est marrant, on dirait du Pujadas. Déjà si tu n’allaites pas (méchante !) ça commence mal. Mais si tu utilises en plus  une poussette, ton bébé pourrait MOURIR. . C’est pleins de mots scientifiques, donc c’est que ça pourrait très bien être vrai. Et note bien l’utilisation du ou et du et, qui te jette le doute sans s’engager en rien. Vilaine maman. Et ça continue au paragraphe suivant:

les niveaux de cortisol élevés résultant de la séparation mère bébé ont un impact négatif sur l’hormone de croissance.

Là, on ne s’emmerde plus trop avec le conditionnel hein, puisque tu es encore sous le choc de ta découverte, petite irresponsable qui laisse même ton -ta conjoint-e porter BB avec ses BRAS. B poursuit donc son explication : ton enfant sera stressé-e, petit-e et tachycardique si tu ne la-le porte pas. Il  sera aussi plus idiot-e que la moyenne (car le-a bébé-e porté-e « atteint des  résultats plus élevés sur les tests de développement mental et moteur la première année »).

Et enfin. Le final. La conclusion, l’apothéose. ben oui madame, si tu n’a pas encore compris,  le portage, le grand le beau portage, surtout celui de chez Boba (oups…),

 « sauve des vies » !!!

car « selon les dernières études, (…) la méthode kangourou (…), ou la manière spéciale de porter votre bébé en peau à peau, montre une réduction de 51 pour cent la mortalité du nouveau-né lorsque les bébés (stables et de moins de deux kilos) ont été « portés en kangourou » dans leurs premières semaines après la naissance et allaités par leur mère.

 Si les dernières études le disent, hein… Et ce qui est fabuleusement toxique, c’est que B t’explique tout ça en 28 points et 13 références sans évoquer une seule fois son offre pléthorique de méthode de portage. Ce n’est que discrètement, à la fin, qu’il appose son sceau. Que la brochure soit constellée de photos de femmes (plus un homme en couv, mais visage dissimulé) en bonne santé (minces) et épanouies,  bien sûr chargées de leur bambin-e en écharpe B, n’est que le détail qui sépare l’information du publi-communiqué. C’est si doux le marketing.

Alors moi, je dis pas que tout ça c’est faux, que B. ne sont rien d’autres que de vilain-es opportunistes qui culpabilisent les femmes à base d’arguments scientifiques d’origines parfois douteuses, biaisés ou utilisés à des fins malveillantes et mercantiles. Je dis juste que « happy together with BFamily », ça sera sans moi. Et que tout ça, ça fait surtout du mal au transport en écharpe et aux mères, et que ça ne fait que renforcer les sceptiques au détriment du côté pratique.  Un peu comme cette grande dame de table ronde qui avait répondu à une mère dans le doute quant à sa capacité à concilier gros câlin (maternage) et boulot : « ha mais madame, quand on fait un EnFant, on assume jusssqu’au bout. On ne travaille pas. »

cqfd.

 

5 commentaires

  1. Ok …
    Ces méthodes de marketing me file de l’urticaire. Êtres une bonne mère c’est filer ses couches sois même avec de la laine de lama péruvien, cultiver son jardin bio pour des petits pots sans additifs et j’en passe. Et si êtres un bon PARENT c’etait juste faire de son mieux pour rendre ses enfants heureux. C’est déjà un sacré projet avec son lot de défis je trouve.

    Merci pour cet article!
    Bonne journée et bonne continuation.

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