Mon buste, mes bras et mes jambes grossissent, ma peau s’épaissit, elle prend la couleur du bronze, je perds mes cheveux et mon dos se voûte, se voûte…Si vous croyez que je suis seulement en train de devenir une vieille femme inutile et décrépite, laissez-moi tranquille, je suis trop occupée à découvrir ce que signifie être dure dehors et molle dedans.
Bonsoir chaleureux ! (ha ha )
Il y a de ça un petit moment, j’étais allée faire un tour à un vide-rayons de bibliothèque. Le truc qui suit le désherbage, là (au moins quand on est libraire, on à le droit de dire qu’on fait des retours… le trucs qui précède le pilon. arg). Je vous le dis parce que ça relève pour moi de l’exploit, c’est un peu comme les soldes ou les ventes d’usine, c’est horrible , ça me rend apoplexique parce que je SENS que tout est là et que je ne le trouverai pas. Et puis c’est toujours plein de GENS. Mais bon, j’ai trouvé un livre…
Si je papote, c’est parce qu’en fait je suis un peu anxieuse. Je radote mais vous avez sans doute remarqué que je parle toujours très très mal des choses que j’aime bien. Et je trouve que pour les choses importantes, il y a des tas de personnes mieux qualifiées. Et donc là, vraiment, ce sujet là, je le trouve capital , alors je vous demande pardon pour la piètre qualité de mon ramage. Aujourd’hui, j’aimerais vous parler de vieillesse.
J’ai lu ce livre il y a un bon moment, j’avais noté quelques phrases et donc je vais en raconter un p’tit bout de mémoire. Plus qu’un p’tit bout, c’est un personnage que j’aimerais bien évoquer avec vous. Je vous pose donc un résumé tout fait ici:
Elisa vit à Venise avec sa mère, et rend visite quasiment tous les jours à sa grand-mère, Eia, dans sa petite maison de la Celestia. Les deux femmes semblent ne plus s’adresser la parole, mais Elisa n’a jamais réellement su pourquoi. Alors lorsque l’extravagante vieille dame, conteuse hors pair passionnée de théâtre, commence une impensable métamorphose, sa petite-fille, spectatrice fascinée et inquiète, affronte les secrets de famille et devient sa meilleure alliée. Ou comment, pour tromper la mort, mamie Eia se glisse dans la carapace d’une bien étrange créature…
Mamie Eia est une ancienne actrice londonienne. Dans sa petite maison, elle peint des sirènes sans être certaine qu’elles existent. Pour la rejoindre, il faut suivre un chemin de conte de fée, un chemin qui inspire la crainte, qui demande du courage, et qui débouche ensuite dans un monde « bourrés de petites choses merveilleuses » . Elisa, la narratrice et sa petite-fille , est un petit chaperon rouge avec un sac plastique.
La vieillesse, en littérature jeunesse, c’est un peu comme la tristesse des adultes : elle n’est pas vraiment bien traitée. Les grands-mères sont omniprésentes, mais sages et sans âge, un peu sorcière parfois, figées et souriantes sous leur immuable chignon blanc . Elles sont belles et de bons conseils, mais ce sont souvent des icônes, les pendants du loup, ou des personnages secondaires plus ou moins acariâtres.
Le problème, c’est que cette représentation colle souvent à la peau de nos femmes âgées. A tort ou à raison, on prend des précautions. Trop souvent, on infantilise. Les vieux et vieilles partagent un peu le sort des enfants: certain-es ne les vois pas comme des personnes à part entière. Ilelles ne sont pas ou plus tout à fait « nous », ilelles comprennent moins de choses, ilelles « nous » embarrassent un peu. Enfin, c’est ce qu’on dit.
Eia est un peu tout ça. A la fois magique et sorcière, excessive, plongeant sa fille dans l’incertitude. Mais elle est aussi bien plus. Toute la force de ce livre réside dans le regard que porte Elisa sur sa grand-mère. Coincée entre l’enfance et l’adolescence tout comme Eia oscille entre la magie et la vieillesse, la jeune fille sent au fil du récit les pointes du réel déchirer les pages du conte de fée.
Elle avait la main froide, sa peau était épaisse et rêche. Ses pas, lents, pesants(…) son visage me sembla nu et vieux, vulnérable.
A travers le regard d’Elisa, l’imaginaire de la grand-mère et la réalité de la vieillesse se confondent: la robe blanche qui comme par magie ne se sali jamais, le potager, les vieux calendriers, les traces de verre sur le meuble en bois, les tableaux d’angelots… la maison d’Eia est une conjonction de souvenirs d’enfance, d’éléments merveilleux et de détails inquiétants.
On retrouve ce même mélange lorsqu’elle est décrite physiquement. Eia exhale un parfum d’épice et de frangipanier, se coiffe d’une longue tresse « juvénile », elle est une femme, une femme âgée. Peut-être est-ce bien une robe blanche de fée qu’elle arbore. Mais serait-ce en vérité une chemise de nuit que l’on découvrirait, si l’on franchissait la totalité du miroir ?
J’avais eu le temps de de remarquer une contraction sur ses lèvres. une grimace affreuse. ma grand-mère en sucre à la bouche mauvaise.
Louves ou simples réalités, la mort et la sénescence ne sont jamais loin. Les générations entrent en friction. Alors que sa mère, qui craint la folie d’Eia, envisage avec inquiétude ses pertes de mémoires et songe non sans mal à un nouvel internement, Elisa défend avec férocité sa grand-mère et s’oppose à toute idée qui pourrait écorner la représentation qu’elle s’en est faite. Et presque jusqu’au bout, il nous est impossible d’être certain-es de savoir si la magie de Mamie n’est pas en vérité les symptômes d’une maladie qu’Elisa recouvre d’un voile enchanté.
L’astuce, pour tromper la mort, c’est de se transformer, ma petite Elisa.
Je n’ai évoqué que le début du livre, il y a encore beaucoup à découvrir au fil de la lecture. Cette constante oscillation entre l’enfance et le monde adulte, la magie et la vérité, la perte d’autonomie et la liberté, la mort et la transformation, font d’Eia, véritable femme, réellement vieille, un personnage à part entière. Seul l’intrigue « policière » est pour moi un peu en trop. L’écriture qui se joue des clichés et la mélancolie qui teinte la relation entre Elisa et sa grand-mère, et bien sûr sa poétique transformation auraient largement suffit.
Voilà, je m’excuse pour la maladresse de mes mots (c’est qu’il fait chaud bigre !) En tout cas, j’espère que ma mémoire ne me joue pas des tours et que vous irez jeter un œil à ce petit roman. Et n’oubliez pas que quel que soit votre âge, vous êtes encore bien jeunes. Quelle chance il faut pour parvenir à cumuler les années…
Aldabra, la tortue qui aimait Shakespeare, Silvana Gandolfi,2008 au Seuil Jeunesse et plus récemment chez les Grandes Personnes