J’ai un problème avec l’Attrape-rêves.
L’attrape-rêves, c’est ça:
Posons d’abord les personnages et le contexte: nous avons à notre droite Louise, l’héroine, fille d’un homme esseulé, ouvrier en scierie. Ils vivent dans une bourgades située, je cite : « tout là-haut, dans une vallée […] » (association de termes qui me laisse assez perplexe, d’ailleurs, mais on me dit à ma droite que c’est en fait absolument possible).
En face nous avons steph le Bad Boy, fils battu d’un bouseux (tous les bouseux battent leurs enfants, c’est bien connu mais chut, je ne juge pas l’histoire), secrètement amoureux de notre jeune héroine, mais légèrement alcoolique( Steph, pas le bouseux). Viennent enfin à notre gauche le(s) élément(s) pertubateur(s): Chems et sa mère dont j’ai oublié le nom (nous le dit-on seulement?), nomades qui s’installent dans la forêt environnante. Chems, garçon sombre et sauvage, rejeté de tous car « différent » (comprendre, différent des bouseux), va faire battre le coeur de Louise, bien malgré elle.
Jusqu’ici tout va bien, l’histoire se déroule et se lit avec aisance, c’est un peu caricatural par moment (la façon de décrire « le bahut » et les bouseux rappelle Anna Gavalda qui essaie de faire la djeun’s). Mais rien de grave. En résumé, Chems va se muer en terroriste écologico-anarchiste (ya pas d’âge pour s’engager) et Louise heu… ben Louise, rien.
Ce n’est donc pas tant l’histoire que le traitement de fond réservé à sa pauvre héroïne et aux femmes en général qui va poser problème. La mère de Chems ne servira en fait que de lien, de passeuse de messages sans visage, entre Louise et Chems.
Le traitement reservé à notre héroine est plus progressif, et c’est bien lui qui m’intéresse .
Tout commence par cette scène où la demoiselle, franchissant l’interdit, passe pour la première fois un moment avec le jeune sauvageons. Impassible et sentant bon le bois et la bête sauvage, il la raccompagne chez elle, toute troublée qu’elle est de se retrouver à ses côtés. Cependant, s’afficher avec un marginal dans un coin perdu est une chose malaisée:
« Malgré tous mes efforts, Chems à insisté pour m’accompagner jusqu’à la maison[…].-Tu as peur qu’on nous vois ensemble? Il avait le même petit sourire que lorsqu’il m’avait surprise à côté de la caravane. J’ai haussé les épaules, comme si c’était sans importance, mais la verité, c’est que j’étais prête à tout donner pour qu’il file. »
A noter qu’il lui tient fermement le bras. Tout le trajet.
Et ce passage est le reflet de toute la suite de l’histoire: une Louise passive, dissimulant tout sentiment autre que l’amour, qui n’exprimera jamais le moindre point de vue. Un Chems actif, autoritaire, multipliant les sourires condescendants et imposant sa volonté en toute circonstance.
Une position de soumission-domination qui trouvera son point d’aboutissement lorsque Chems, après moultes péripéties, disparaîtra dans la forêt au milieu de l’histoire, laissant Louise sans nouvelle alors que compromise par ses actions de jeunes loup révoltés. C’est à elle que reviendra la tâche d’attendre un signe, une invitation pour venir le rejoindre, seulement où et quand Chems l’aura décidé. Louise donne, Chems prend.
Et lorsqu’elle lui témoignera finalement une certaine rancœur, cela s’achèvera en larmes et, devinez quoi … en scène de sexe « élipsée » dans une cabane perdue.
Un nouveau problème se pose avec le personnage de Steph. Lors d’une fête improbable organisée conjointement par les adultes et les ados, le Bad Boy entraîne une Louise mollement réticente dans une danse pretexte à lui transmettre toute son affection. La résistance de Louise bien évidemment ne s’organise que dans sa tête. Légèrement imbibé, Steph finit par l’entraîner à l’extérieur et face (enfin) à son refus d’aller plus loin, tente le pire.
Fort heureusement, Louise s’en tire (Petit y va fort en analogies animalières…) et retourne faire la fête avec ses potes alors que Steph disparaît dans la nuit. Outre que le reste du récit tentera d’excuser les actions de Steph par le contexte (certes c’est un porc, mais vous comprenez, c’est un enfant battu écorché par la vie), on atteint le point de non retour quand Louise exprime le regret de ne pas avoir cédé. Car Steph, fou de frustration, est parti incendier la caravane de Chems (et accessoirement de sa mère)
« en un éclair, j’ai compris ce qui s’était passé. Je me suis mise à trembler de la tête aux pieds, incapable de lutter conte les images qui me traversaient la tête […]. J’ai baissé les yeux lorsque Chems est passé devant moi. Steph restait toujours invisible. Si tu avais cédé à Steph, rien ne serait arrivé… Cette idée m’a brutalement vrillé le crâne. J’ai tenté de la repousser de toutes mes forces, mais je l’ai sentie se glisser en moi et s’insinuer de force comme une bestiole répugnante. »
Certes, l’auteur ne cherche pas à culpabiliser l’héroïne ni a cautionner cette triste pensée. L’idée se glisse, répugnante (mouais..). Mais cette phrase est la seule traitant de la culpabilité face à un évènement dont une femme n’est absolument pas responsable. On cherchera des excuses à Steph, on baissera les yeux devant Chems, mais jamais Louise ne sera rassurée ni détrompée. Passant tout le roman à trembler, attendre et se taire, elle ne verra jamais son acte de résistance reconnu. Tout juste l’auteur lui accordera -t-il d’éconduire poliment Steph lors d’une seconde tentative de rapprochement. Tout cela me semble bien maladroit.
Peut être que la volonté de l’auteur est de faire réfléchir à cette situation. Dans ce cas, l’utilisation du « je » ne permettant pas toujours une distance suffisante pour réfléchir, n’aurait il pas mieux valu une autre approche? Ou peut-être se montrer un peu plus explicite?
Et que dire des champs lexicaux qui accompagnent chaque action de Louise?
trembler, frémir, tenter, donner, hésiter, gémir, pleurer… je restais, je ne savais, j’étais submergée, j’ai baissé la tête…
Avoir une figure féminine pour héroïne n’est pas suffisant pour se dédouaner du rôle de faire-valoir tremblant qu’on lui attribue. Sans compter cette terrible peur du changement qui suppure du récit. Refuser un changement qui sauverait la vallée, porter aux nues la femme soumise…
Difficile d’oublier que dans une grande partie des médias, voire de la société, le désir féminin est culpabilité, ou soumission, ou performance au service de l’homme. Que la misogynie est intériorisée. Je sous-estime très certainement les jeunes lecteurs. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que dans un contexte ou le sexisme est passivement toléré, une jeune fille ou un jeune garçon aurait sans doute du mal à faire la part des choses quand tout dans le style narratif l’invite à s’identifier à l’héroïne.
Comme quoi c’est pas parce que le loup est fuchsia que ça va changer quelque chose.
L’attrape-Rêve ; Xavier-Laurent Petit. Ecole des loisirs, collection Medium, 2009, à partir de 12 ans.
A suivre: Gantz
La conclusion m’a fait éclater de rire (d’abord on n’a pas idée de faire une couverture aux couleurs aussi vibrantes, ça vrille la rétine!)
Bel article.
Au moins celui là on peut pas le louper ! C’est peut être dommage… merci beaucoup !
Dommage, le résumé n’avait pas l’air mal…comme quoi, il ne faut pas juger un livre à sa couverture (je dis ça bien que je ne l’ai pas lu. Honte à moi !)
Le titre de ton article m’a fait penser à celui d’une petite chansonnette de Little, une chanteuse indépendante qui joue de la guitare, dont le titre est « La Belle et le Connard ». Finalement, ce titre-là ferait une bonne alternative…