Paf la Princesse

Et je termine ce magnifique glissement des sujets (une glissade sur deux mois, tout de même, je suis impardonnable) pour terminer sur une dernière héroïne: la princesse invisible.

Que de questionnement, que de doute  à la fin de ma lecture. J’ai un problème avec La Princesse  invisible. En fait, c’est exactement tout ce que je souhaite éviter dans la littérature jeunesse. Si je devais le mettre dans les mains d’une hypothétique mouflette, ce serait sans doute pour lui dire qu’il  faudrait qu’elle prenne cette histoire comme un manuel des pièges à éviter.  J’ai laissé passer du temps entre deux lectures pour m’en assurer, mais cette histoire me fait vraiment froid dans le dos. Pour des raisons subjectives,  sûrement.

Je ne doute pas une seule seconde de la sincérité d’Eglal Errera, et j’ai bien conscience que la liberté n’est pas la même pour tout le monde. M’enfin quand même. Mettons fin à ce dramatique préambule et laissons nous guider par l’histoire.

Dans un royaume paradisiaque nait la princesse Dounia. Le mystère est entier: la fillette, dès son premier jour, est enfermée dans le plus haut donjon du Palais.  Nul ne pourra poser les yeux sur elle, si ce n’est son futur prétendant, choisi par son père pour ses 20 ans. Alors seulement sera dévoilé le mystérieux secret de la princesse invisible.

Voici l’étrange histoire de la princesse invisible et de son père le magnifique monarque que l’on appelait le Grand Silencieux.

Dès la première phrase, le ton est donné. Le déséquilibre  entre les pages consacrées au père et celles mentionnant sa fille est total. Le royaume, décrit comme un Eden à nul autre pareil, est gouverné par un homme non moins que parfait, dont la générosité (mondialement réputée) est vantée à n’en plus finir. Le monarque inspire la vénération jusque dans le cœur des animaux. Ces derniers trouvent en effet refuge en ses terres lors d’un déluge qui transforme son royaume en « Arche de Noé ».

« Dès que l’on pénétrait dans le royaume du Grand Silencieux, l’air se chargeait d’un parfum subtil et indéfinissable qui rendait heureux et qu’on appela un parfum de paradis. »

On l’a compris, le patriarche est d’ordre  divin.  Sa femme n’existe qu’à travers sa mort tragique, qui laisse une empreinte indélébile dans l’âme du roi et des habitants ( et entraine un deuil national de… quarante jours). Ainsi nait Dounia au cœur de la tempête. A ce stade, je pensais encore que la petite était réellement invisible, et non véritablement séquestrée.

Et ba non.

Une fois passée la vingtaine de pages consacrées à la grandeur et à l’affliction du roi, on en vient à l’émoi des villageois: qu’en est-il de la fillette ? Cela fait deux années maintenant que la pauvre est enfermée dans le donjon, avec pour seuls visiteurs sa vieille nourrice et son divin papa.  Le premier moment clé de l’ouvrage se produit (enfin) page 28. Je prends soin de laisser trainer quelques petits mots en gras, bien que l’équation de ce discours ne soit pas franchement difficile à résoudre.

« Le jour de ses vingt ans, je marierai la princesse à un valeureux jeune homme. Celui-ci sera désigné par moi au terme d’épreuves que je fixerai en leur temps. Ce jour-là, votre reine apparaitra à vos yeux pour la première fois, au bras de son époux, qui sera aussi mon successeur. Il deviendra votre roi car j’ai décidé de me retirer le soir des noces. Puisse-t-il vous aimer comme je vous aime et rendre la joie de vivre à notre pays. »

Que Dounia puisse prendre elle-même la succession de son père et rendre la joie à son peuple, nulle question. D’ailleurs Dounia, on en cause pas du tout. Elle est complètement remisée au second plan, Dounia. Le donjon de son enfance se reflète dans le langage de son père le grand roi. Là, je me suis dit qu’il ne fallait pas se laisser emprisonner benoitement par le texte. Finalement ce discours est peut-être la petite fissure qui ébranlera l’image de sainteté du paternel.

Et ba non.

La population est en émoi. Eglal Errera craque un peu en taxant les femmes qui cousent des robes en l’honneur des futures noces de « terribles coquettes qui ne pensaient qu’à leurs parrures, leurs bijoux et leurs rubans ». Ce qui est quand même un peu teindre la biche en vert quand on raconte ensuite que c’est fantastique, les villageois organisent chaque année des concours de beauté pour essayer de s’imaginer combien la princesse est belle, et que cette même princesse s’appelle Dounia comme sa mémé à la beauté qui dépassait les frontières.

Les années s’écoulent, et le Roi choisit pour sa princesse « un précepteur sage d’entre les sages » érudit et tout ça. Ce qui à son importance pour la scène finale, qui arrive à grand pas.

Le grand jour est enfin arrivé.  Certains sont morts, d’autres ont perdu leurs biens, mais tous les prétendants  (y compris les zombies du coup, je suppose) parviennent aux portes du palais.

 

« Il plut à tout le monde et on l’acclama. »

On ignore d’abord à quelle épreuve sont soumis les jouvenceaux, mais tous échouent. Tous? Non. Car parmi eux se distingue Elie, un jeune homme « beau mais sans excès » (ha), mais que la destinée, cette coquine, n’a pas paré des atours de la noblesse. Elie est un voisin, mais comme faut pas exagérer non plus, il est quand même le fils d’un astronome renommé et d’une femme « parmi les plus belles de la région » (tiens tiens).

Ainsi le « modeste » jeune homme se présente-il au roi qui, contrat de mariage à la main, lui tient un bien étrange propos. Si son entrevue imminente avec la princesse Dounia ne lui donne pas satisfaction, il pourra quitter le palais sans se justifier. Voilà la fameuse épreuve: rencontrer la fille du roi.

Par contre, les livres ne disent pas si la politesse fut rendue. De l’avis de la princesse Dounia sur messire Elie nous n’avons cure. Mais suivons donc notre prétendant jusqu’à la chambre de la demoiselle.

Elie vit, assise droite et digne, une femme qui le regardait avec douceur et une poignante tristesse. C’était la créature la plus laide, la plus repoussante qu’il lui avait été donné de rencontrer.

Et le voilà, le terrible secret  de la princesse. Elle est moche. Les vingt ans de captivité, en fait, c’était pour ça.  46 pages de descriptions en frénésie virgulaire pour en arriver là. Vous pensez bien, le roturier n’est pas stupide au point  de s’en tenir là. Il faut dire qu’avec Dounia, ils ont parlé musique et bouquins, et que ça l’a ému. On applaudit le précepteur pour avoir si bien élevé sa courtisane recluse. Non seulement la demoiselle sait entretenir une conversation, mais en plus elle le fait d’une voix douce et mesurée.

[…] la volonté du jeune homme n’avait pas vacillé. C’était un homme de parole, et aussi, il avait été touché par la grâce de la princesse malgré la monstruosité de son apparence. […] Le contrat fut signé et l’on fit donner cent coups de canon pour annoncer au peuple qu’une nouvelle ère s’ouvrait pour lui et que commençait le règne du roi Elie et de la reine Dounia.

Vous vous en doutez, le contrat à été signé en l’absence de ladite reine Dounia, décidément invisible à tous les points de vue. Après tous ces évènements et déjà bien étouffé par la grandeur sacrée du monarque, on suffoque. Sauf que ce n’est pas fini. A tout conte il faut une morale, et c’est les yeux humides et le cerveau liquéfié qu’on suit une dernière fois Elie dans les appartements de Dounia.

La seule et unique illustration de Dounia

 

Sur le fauteuil en soie sauvage des indes, le jeune roi vit, assise, impériale et splendide, la plus belle créature qu’il lui avait été donné de rencontrer. Tout en elle était finesse et perfection.

C’est que Dounia n’est en fait moche que la moitié de la journée, tout ça à cause d’un vilain sorcier que la grandeur du Roi rendit un jour  amer. On s’y attendait, l’ombre de Princesse Parfaite rôde toujours dans les recoins de ce genre d’histoire. Cela dit, je ne comprend quand même pas pourquoi dans ce monde si parfait on enferme les moches. Au moins le lecteur est rassuré, quelle que soit son apparence, la jeune fille reste une « créature ». Mais passons, car le coup de grâce est prêt à s’abattre. C’est la première fois que les paroles de Dounia sont transmises en discours direct.

Que souhaite-tu, mon prince, que je sois jeune et belle pendant le jour aux yeux de tous, devant le peuple et devant le monde, et puis laide la nuit lorsque nous serons seuls? Ou bien, au contraire, me veux-tu belle pour toi du coucher au lever du soleil, et laide de l’aube au crépuscule quand je me tiendrai à tes côtés face à la cour et à nos sujets?

 

Un discours terrible, l’auteure en convient. Elle nous explique même que les livres se sont émerveillés de la réponse du nouveau roi, qu’il énonce bien entendu d’une voix « ferme et forte »

Ce sera, ma dame, comme toi, tu le désires.

C’est déjà ça, si on combat notre esprit cynique et que l’on oublie que vivre avec une demie-laideronne n’est pas cher payé pour accéder à la royauté. Finalement, le final est pétri de bonnes intentions. C’est une petite fleur lancée dans l’océan d’horreur dans lequel nous avons surnagé jusqu’ici. Et du coup, la morale semble bien dérisoire, voire complètement ironique :

Peu importe ce que décida la souveraine (pour changer…), Dounia fut ce soir-là une femme comblée car que peut-on désirer de plus que d’avoir le choix, de disposer ainsi de sa liberté et de sa vie ? C’est ce que nous enseigne ce conte »

C’est certain qu’ après 20 ans de séquestration pour disgrâce physique, une éducation lacunaire, une absence quasi-totale de contact humain et un mariage forcé, ça doit lui faire du bien à Dounia, d’avoir le droit de choisir la façon dont on disposera d’elle.

 

La Princesse Invisible, Eglal Errera, Philippe Dumas 2001. L’Ecole des Loisirs, collection Mouche.

 

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