Quelle tristesse que de sentir celle de Dounia hanter ces lieux ! Du coup, je pense qu’il est temps de lui présenter une nouvelle princesse qui saura sans nulle doute lui appendre à détruire son Donjon.
Il y a longtemps, en Chine. La quatrième fille de l’empereur, Djeow Seow, est née toute petite. Si petite que personne ne fait attention à elle. Ses frères sont tels « quatre soleils levants » , ses sœurs pareilles à « trois lunes de minuit » aux yeux de l’empereur. Les premiers gouvernent avec lui, les secondes lui apportent ses repas.
Comme Dounia, Djeow Seow joue, mange et vie seule. Elle n’est qu’une « minuscule étoile » aux yeux de son père. La toute petite fille peut cependant s’adonner à son activité favorite: chaque matin, comme « une fleur dans le ciel », son cerf-volant virevolte au gré du vent de l’Est. Et chaque matin, elle croise un moine qui lui offre un poème.

Toujours plus haut.
Mon âme s’envole avec lui. »
Voilà un premier indice pour nos princesses invisibles en herbe: contrairement à Dounia, pétrifiée par sa Gorgonne de père, Djeow Seow grandit presque hors de vue du sien. Une chance malheureuse qui lui permet pourtant de gagner son indépendance, contrairement au reste de sa fratrie/sororie. Ses dernier-es, enveloppé-es dans le regard du père, restent prisonnier-es de la gangue des traditions. Et se montrent incapables de vivre en dehors de l’ombre patriarcale.
Mais tout n’était pas en paix dans le royaume, à l’image du vent, parfois violent, qui peut troubler les eaux immobiles d’un étang.
Car on est bien loin du royaume paradisiaque (et glaçant) du Grand Silencieux. Des conspirateurs enlèvent un jour l’empereur sous les yeux de sa toute petite fille ignorée. L’enfermant dans une haute tour ne comptant qu’une seule fenêtre, ils annoncent au peuple la mort de leur souverain pour mieux prendre la tête de l’empire. Désespérée, la famille impériale s’exile dans des contrées voisines. Djeow Seow, elle, entame un long voyage jusqu’à la tour de son père. Vivant dans une modeste hutte de brindilles, elle envoie chaque jour, grâce à ses cerf-volants, des vivres au malheureux séquestré.
Ils vécurent ainsi longtemps: l’empereur dans sa tour, la princesse dans une hutte aux confins de la plaine.
Il n’est pas coutume dans un conte de voir que c’est le père que l’on séquestre. C’est encore plus rare d’assister à son sauvetage par une princesse, qui plus est par sa propre fille. Éclairée par le nouveau poème de son moine ( une figure davantage spirituelle que patriarcale), Djeow Seow se lance dans la fabrication d’une corde « aussi épaisse que sa taille et aussi haute que la tour ». Accrochée tout au bout d’un cerf-volant, la tresses d’herbe et de cheveux noirs atteint sans difficulté l’empereur.
Puis l’empereur se hissa sur le rebord de la fenêtre, rampa sous le barreau, salua les dieux et se laissa glisser le long de la corde. Ses vêtements s’élevèrent en tourbillon autour de lui, telles les ailes d’un cerf-volant aux couleurs éclatantes.
Oui, l’empereur est éclatant, certes par la grâce de la liberté retrouvée, mais surtout parce que sa fille en est à l’origine. C’est le regard de la princesse qui n’a cessé d’envelopper l’empereur, et son action qui a éveillé la conscience de ce dernier. S’inclinant enfin à hauteur de Djeow Seow, il l’étreint à la faire disparaitre. Ce n’est pas le regard glaçant des traditions, mais le respect et l’affection qui enveloppe la petite fille tout entière. L’empereur, jurant de ne plus jamais négliger personne -petits ou grands, rétabli rapidement la justice dans le pays. Les frères et sœurs de la princesse peuvent enfin regagner leur palais. Ils-elles y découvrent leur benjamine perchée sur un trône aux côtés de son père. C’est ainsi que l’on raconte que Djeow Seow, impératrice « douce comme la brise, forte comme le vent », gouverna à sa suite.
Voilà une fin qu’on aurait vraiment espéré pour Dounia. D’autant que cet album a été écrit… plus de 30 ans avant la Princesse Invisible. Djeow Seow est l’héroïne à part entière de cette histoire, contrairement à ce que laisse penser le titre. Les illustrations ciselées à l’encre de Chine sont absolument magnifiques et s’étalent presque à chaque fois sur deux pages. Je n’en mets pas trop, car vous aurez bien constaté que ça les desserre totalement, d’autant plus qu’on ne perçoit pas le côté à la fois épuré et coloré de l’album. Raison de plus pour vous jeter dessus dès que vous le croisez.

L’empereur et le cerf-volant, Jane Yolen, illustré par Ed Young. Le Genévrier, 2011 pour l’édition française.
Quel contraste avec le précédent bouquin, ça met du baume au cœur ! (Et les illustrations sont juste sublimes).
C’est magnifique… Je suis bien consolée 🙂
🙂 il vaut vraiment d’être vu, les illustrations s’étalent, c’est magnifique ! Et les deux princesses sont intéressantes à mettre ensemble..