On ne l’attendait plus celle-la

Souvenez-vous.

Il y a de ça quelques mois, une déferlante bleue s’abattait sur nos grandes surfaces et GSS. Une céruléenne hystérie s’emparait de nos écrans, de nos kinder, de nos spots de pub. Ce cataclysme, on le devait alors à la sortie de l’innommable second opus numérisé du film des Schtroumpfs.  Et à chaque post qui suivit l’envahisseur azuré, je vous faisais la même promesse, jamais tenue.

Le soleil brille, fermons les volets, la Schtroumpfette débarque enfin sur Budum.

 

 

Avec toutes ces balles rebondissantes, ces culbutos, autocollants et badges, je me suis  souvenu de l’effet qu’avait produit sur moi petite la lecture de La Schtroumpfette : j’avais trouvé cette histoire vachement cruelle, et les schtroumpfs franchement méchants. Et en plus j’avais rien compris à la fin. Je m’y suis donc replongée en me doutant bien de ce que j’allais y trouver  maintenant un peu plus grande. Et je me dis que vraiment, Peyo, c’était quand même un sacré petit malin.

Avant tout, comme je mets un point d’honneur à toujours vous proposer des posts d’une impartialité indiscutable, sachez que je dénominerai la première bouture de la Schtroumpfette  comme suit:

 

La Moche

 

Je respecte ainsi l’auteur tout en bafouant mes goûts esthétiques forcément normés.

Ainsi donc, tout débute par une tranquille journée de Printemps. Les Schtroumpfs profitent de leur quotidien épanoui en toute quiétude, schtroumpfent leurs schtroumpferies et tout, et tout. Pour dire combien ils étaient heureux, les Schtroumpfs, avant.

Mais à quelques pas de là, au plus profond de la forêt ô surprise: Gargamel se morfond. Mais quoi faire, quoi trouver pour pourrir la vie de ses saloperies de Schtroumpfs adeptes du développement personnel et collectif ?!  Une destruction massive de forêt protégée ? L’annihilation de toutes faunes et flores sur Terre?

Non. Mieux !

 

UNE MEUF !!

 

Gargamel donne alors libre cours à sa passion pour les loisirs créatifs.

De l’argile, le plus pur

des perles pour les dents

Deux boudins pour les bras

Des Saphirs pour les yeux

La soie la plus fine pour les cheveux

 

Moi, je trouvais ça plutôt joli comme recette de conte de fée pour créer de la meuf. Mais c’est bien joli, il faut aussi insuffler de la « Nature Féminine »:

Peu importe le flacon…

La petite note ?

 Ce texte engage la seule responsabilité de l’auteur du grimoire Magicae Formulae, Editions Belzébuth.

Voilà ‘une très bonne couverture, histoire qu’on ne sache pas trop si c’est une subtile touche d’humour et de second degré raffiné, un grand défoulement hystérico-machiste, ou une bonne grosse blague de mauvais goût. Dans tous les cas, Peyo, il a rien à voir la dedans. Et moi j’aime pas.

Toujours est-il que nous n’en sommes qu’au début, et c’est la suite qui pour moi fait que la Schtroumpfette doit entrer au panthéon  des trucs à faire absolument lire aux marmot-tes. Si si. Parce qu’en fait, c’est une histoire terriblement contemporaine.

D’abord, pour le plaisir, la première apparition de la Schtroumpfette:

 

La pauvrette, abandonnée  dans la forêt, est « découverte » par celui qu’on pourrait appeler  Schtroumpf  Blasé qui, n’ayant jamais vu de Schtroumpfette auparavant, ne comprend même pas qu’il s’agit d’une créature a priori féminine (en même temps, la pauvre Moche n’a les cheveux ni très longs, ni très blonds…). Arrivée au village, où l’hôspitalité ne lui est offerte qu’à contrecoeur, la volubile Schtroumpfette découvre pour la première fois ses semblables ( et refait la déco interieure, faut pas déconner.) Et contrairement à l’ensemble de ses congénères  (supposément) masculins, la Moche fait preuve d’une belle ouverture d’esprit et d’une grande curiosité. Son intéraction avec le personnage du Grand Schtroumpf est, à partir de ce point de l’histoire,  passionnante.

Le lendemain de son arrivée, Mochette propose à ce dernier de l’accompagner au barrage des schtroumpfs pour découvrir leur qotidien. Bien que le sinistre petit barbu s’y oppose tout d’abord (c’est que ce n’est pas la place d’une schtroumpfette, un chantier…), elle parvient à le convaincre par des arguments imparables:

 

Sauf qu’elle n’y reste pas, à la place désignée par le grand Schtroumpf. La Moche se lève, et pose des questions. Elle n’écoute pas toutes les réponses, mais elle ne demande qu’à apprendre, la Schtroumpfette. Elle manie des outils, parcourt tout le chantier et va même….

Un vent de sédition se lève….

…mettre en doute la haute autorité du Grand Schtroumpf. Appuyer là ou ça fait mal et utiliser les codes du système pour avancer. Elle est pas cool, la Schtroumpfette moche ?

Evidemment, une voix dissonnante, ça gonfle tout ce petit monde bleu. D’autant plus que la pauvre n’est ni bonne cuisinière, ni bonne chanteuse, ni bonne danseuse. Elle tente pourtant par tous les moyens de se conformer à la norme, et cuisine, coud et offre ce qu’elle peut en pensant s’intégrer. Mais ses cadeaux, et les petits services qu’elle attend d’eux, ne conviennent pas à ses messieurs. Ils décident alors d’utiliser l’arme imparable, la botte secrète contre les moches: le diktat de l’apparence.
Quoi de mieux, en effet, que de traiter une femme de grosse dinde pour la faire taire ? Leur petit plan bleu est un modèle de sournoiserie. A coup de ritournelles bien senties (digue dondaine, digue dondon…), d’allusions à peine voilées (ne serait-il pas temps de consolider le pont?), la pression sociale sur la Moche prend son essor. Fourbe jusqu’au bout, la communauté use bientôt d’un miroir déformant et d’une balance truquée, allant même jusqu’à retoucherla garde-robe de la Schtroumpfette. Et la Moche réagit finalement comme beaucoup de femmes le font dans notre petit monde de la vraie vie: au lieu de faire confiance à son corps et à son ressenti, elle laisse le vêtement lui dicter sa taille, accorde sa confiance aux chiffres, s’abandonne à son reflet déformé. Sacrifie l’espace que son corps occupe à ce que l’autrui et l’artifice lui dicte. Elle en vient d’abord  à se priver de nourriture, jusqu’à ce que l’objectif final soit atteint: la dépression.

Le Grand Schtroumpf, garant de la cohésion sociale, ne tarde pas à prendre connaissance de ce dramatique incident. Il se fait fort d’admonester ses troupes. Puis il se rend chez la Schtroumpfette, redoutant même le suicide de l’autrefois si joyeuse enfant. C’est finalement un drame ordinaire qui se déroule sous nos yeux. Et qui se dénoue comme souvent : avec cette touche de compassion condescendante qu’exprime le monde face aux laissées pour compte de l’apparence :

Ha ha. Voilà qui rappelle ces émissions de relooking qui pullulent partout, ces « assume tes Rondeurs(r), viens, je vais t’aider à choisir ta gaine »,  « elle devrait rester elle même, mais en changeant tout », « tiens, écoute ce que les gens pensent de toi, tu t’aimera mieux toi même après », « en même temps, elle ne prend pas soin d’elle, elle ne sait pas se mettre en valeur… » , « mais non, tu n’es pas si grosse que ça, donc tu peux être rassurée… » etc… Une belle hypocrisie, quoi. Le Grand Schtroumpf, c’est finalement le monde, la société, les magazines féminins, les médias, la norme,  le paternalisme  tou-tes-s secoué-es dans une petite fiole rouge et bleue.

Le Grand Schtroumpf se lance ainsi dans une « expérience » de relooking extrême et nous refait un petit Miss Swan en mode Schtroumpfesque. Voici venir la Schtroumpfette telle qu’on la connait, blonde aux longs cils, haut-talons, robe à volant. Enfin « féminine ».

 

It’s aliiiive !

Forcément, les collègues masculins ont tous leur petit coeur qui palpite. Mais la Nature de la Schtroumpfette, elle, n’a pas changée. Les petits bleus se prennent donc l’effet boomerang de leur propre plan de pression esthétique: ils deviennent encore plus cons. C’est que le monde, la société, les médias, ils-elles sont fait-es de pleins de monde, des gens, de nous quoi. L’histoire se déroule donc à l’envers: tous rivalisent de prouesses pour plaire à la « Belle », allant même jusqu’à faire infléchir légèrement l’autorité en leur faveur (la teuf parce qu’on s’emmerde le printemps, le grand Schtroumpf il adhère, mais quand il s’agit d’en faire une en l’honneur de la schtroumpfette…)

Beau retour de bâton que voilà. les Schtroumpfs se déchirent pour l’amour de la blonde Schtroumpfette, qui file des rencards à tout le monde. Tous égaux.  Et souvenez vous de cette petite scène où la Moche remettait en doute les ordres du Grand Schtroumpf. Rebelotte, miss Swan parvient à faire ouvrir le barrage par un petit bleu tout en émoi. C’est l’inondation dans la vallée, le poil qui hérisse la barbe du patriarche. Et malheur, le secret de sa naissance est révélé. Ni une ni deux, le représentant du bien vivre en société lui colle un petit procès aux fesses. Un peu comme au temps des sorcières, mais avec un droit de défense, quand même. Et c’est là que ça devient fantastique: les mêmes schtroumpfs benêts qui ont plongé la malheureuse dans une profonde dépression la protège de celui qui l’en a si chevaleresquement sorti à coup de bistouri.

Une fois qu’ils ont fumé le Grand Schtroumpfs, les petits Schtroumpfs se remettent tranquillement sur la gueule. La Schtroumpfette se sent d’ailleurs tout à fait concernée: apparemment, elle l’était en fait depuis le début. Elle décide donc de rendre sa quiétude au village: elle disparait, ne laissant qu’une note derrière elle. Son idée d’aller trouver un pays moins crétin est même considérée comme un sacrifice par le Grand Schtroumpf. Quelle héroïne, cette ex-moche ! Quel malin, ce Peyo ! Allez savoir ce qui lui passait par la tête.

Il ne manque plus qu’une conclusion à ce conte moderne. Parce que nom d’un Schtroumpf, oeil pour oeil meuf pour meuf, il faut se venger de ce vilain Gargamel. Le Grand Schtroumpf à bien entendu le plan idéal pour ça. Horreur, Enfer et Schtroumpfation, voici venir…

… la Femme en Surpoid.

Quel châtiment.

 

A suivre: Marlène Baleine

 

ps: je n’ai même pas vu les films, mes excuses si par le plus grand des hasards, ils sont en fait sympatiques.

pps: je lisais beaucoup les schtroumpfs quand j’étais petite. Donc petit pincement à l’enfance, hein, quand même.

 

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