Marlène Baleine

Haaa, Marlène.

Marlène a un problème.

Là, je sens que vous adhérez.

Etre une petite fille et aller à la piscine, ça peut être compliqué. Etre une grosse petite fille et aller à la piscine, ça peut être encore moins évident. Le tout dans un cadre scolaire, c’est encore pire.

Donc, c’est mercredi, et Marlène est  une grosse petite fille  confrontée à l’éternel problème de la piscine à l’école.  Le plongeon est la pire des épreuves : il soulève grande vague et quolibet.

Mar-lène-est-une-balei-ne !

« C’est qu’elle est lourde, Marlène », nous dit-on.  Dans la narration, c’est un fait. Mais dans la bouche du maitre-nageur, ce n’est qu’une idée. « Nous sommes ce que nous pensons être », affirme-t-il un jour à Marlène.

Il ne s’agit pas pour moi de l’ « aime-toi comme tu es et les autres t’aimeront » qu’on trouve souvent dans ce genre d’histoire. Et c’est justement le constat sans détour de la masse de Marlène  qui permet d’éviter ça. Pas de complaisance, elle n’est pas « ronde », elle est lourde, point. La question n’est pas là.

Le maitre-nageur est aussi très intéressant. Car il y a autre piège qui me déplait : celui qui crée une fausse connivence entre une figure  féminine souvent  sportive et athlétique, parfaite, et une petite fille. Comme une transmission de secret de beauté et d’épanouissement entre femmes, qui passerait forcément par la minceur ou/et un caractère extraverti. Là, c’est un gros type. Et rien dans son comportement ne laisse penser qu’il noue une relation « de gros à grosse », mais de personne à personne. Ca aussi, ça fait plaisir. Pour autant, il sait de quoi il parle, et sa démarche est en fait quasi-spirituelle. Ca fleure bon la philosophie Taï Chi.

Pour bien nager, il suffit de penser léger

En voilà une drôle d’idée. Mais Marlène décide d’essayer. Lorsqu’elle prend la douche froide qu’elle déteste tant, elle pense chaud. Face à un monsieur qui lui fait peur, elle pense géante. Et ça marche.

Ainsi défilent les jours de la semaine.  Plutôt que de porter un regard différent sur elle même, plutôt que de changer pour s’intégrer, elle apprend à penser autrement. Elle apprend à penser autre. Et y trouve une forme d’illumination.

Mercredi arrive, voilà le jour de la piscine. Marlène pense anguille, requin, barracuda. Elle nage tout aussi bien, mais mieux encore, elle aime ça.

C’est alors qu’une fille de sa classe la défie : puisqu’elle nage si bien, qu’elle saute maintenant du plus haut plongeoir ! La fillette souri gentiment, il n’y a donc a priori rien de vindicatif dans ce défi et ça aussi, ça nous change de l’éternelle image de l’écolière pesteuse. Ca reste quand même une mise en doute du courage de Marlène.

Mais Marlène, elle sait exactement quoi penser.

Marlène, elle pense très fort baleine.

Non, mieux…

Et voilà. Une menue déception tout de même: par moment, le texte n’est pas vraiment à la hauteur de son sujet. Les phrases sont globalement assez simplettes, et puis bon, finir toutes ses carottes à la cantine, ce n’est peut être pas à la mesure d’une élévation spirituelle; ça tend un peu trop vers Princesse Parfaite, parfois. Enfin, passer par la case « se faire remarquer par un garçon », c’est pareil, c’est un peu dommage. Le travail de la pensée et par cela-même la construction de soi  ne devraient jamais s’appuyer sur un regard masculin. Après je conçois que ça fasse plaisir de faire sourire Eliot au détour d’un couloir.

Marlène Baleine, c’est une très bonne histoire et les illustrations sont en plus vraiment jolies, même très poétiques pour certaines. En plus, c’est dispo en poche ! Alors plouf  !

 

Marlène Baleine, Davide Cali et Sonja Bougaeva chez Tom’poche (Sarbacane), 2014 (2009 pour le grand format)

A suivre: une question sur la Colère de Banshee

 

3 commentaires

  1. Ca donne à réfléchir comme toujours…

    Et les illustrations sont fabuleuses ; la littérature pour enfants me fait souvent regretter que les livres pour adultes ne soient plus « avec des dessins »…

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